Pendant la procédure de recours art. 9ter

La personne qui a formé un recours contre le rejet de sa demande introduite au titre de l’article 9ter peut solliciter une aide sociale au CPAS de la commune de sa résidence habituelle. Cette aide lui est presque toujours refusée par le CPAS, mais elle peut saisir le Tribunal du Travail en vertu de la jurisprudence Abdida.


Cadre légal

Lorsque l’Office des étrangers (OE) prend une décision négative dans le cadre d’une régularisation médicale (article 9ter de la loi sur le séjour), l’intéressé·e peut en principe se voir décerner un ordre de quitter le territoire (OQT). La personne séjourne alors de manière illégale sur le territoire.

La loi organique des CPAS dispose qu’une personne en séjour illégal a uniquement droit à l’aide médicale urgente (AMU) (article 57, paragraphe 2, de la loi sur les CPAS).

Autrement dit, lorsque cette personne introduit un recours dans le cadre d’une régularisation médicale, elle ne peut en principe demander que l’AMU au CPAS.

Jurisprudence européenne : l’arrêt Abdida

En 2014, la Cour de justice s’est prononcée, dans l’arrêt Abdida, sur la question de savoir si une personne ayant introduit un recours à l’encontre d’une décision négative dans le cadre d’une régularisation pour raisons médicales (article 9ter) a aussi droit à une aide sociale plus large. Cette aide sociale va au-delà de l’intervention dans les frais médicaux.

D’après cette jurisprudence de la Cour de justice, la législation nationale d’un État membre doit prévoir que le ressortissant d’un pays tiers gravement malade peut prétendre à une aide sociale en attendant que soit jugé le recours qu’il a introduit contre la décision de retour. La Cour de justice, se basant sur la directive européenne 2008/115/CE sur le retour, déclare qu’

« un État membre est tenu de prendre en charge les besoins de base d’un ressortissant de pays tiers atteint d’une grave maladie qui a exercé un recours contre une décision de retour lorsque celui-ci est dépourvu des moyens de pourvoir lui-même à ses besoins. »

Transposition en droit belge ?

La législation belge n’a pas encore été adaptée depuis l’arrêt Abdida de 2014.

Dans la pratique, les personnes nécessiteuses ont la possibilité de s’adresser au CPAS de leur lieu de résidence habituelle pour obtenir une aide sociale plus large, qui peut notamment prendre la forme d’une intervention dans les frais médicaux, d’un soutien financier ou d’une prise en charge d’une facture d’énergie, etc. En principe, le CPAS refusera cette aide sociale plus large à une personne ayant introduit un recours contre une décision de rejet d’une demande au titre de l’article 9 ter parce que le demandeur est considéré comme une personne en séjour illégal. Cette décision négative du CPAS peut toutefois être attaquée devant le tribunal du travail compétent.

Qui peut introduire un recours sur le fondement de la jurisprudence Abdida ?

La personne nécessiteuse ayant introduit un recours contre une décision de rejet d’une demande au titre de l’article 9ter a droit, d’après la jurisprudence européenne, à une aide sociale plus large pendant la procédure de recours. Une décision négative dans le cadre d’une régularisation médicale (article 9ter) peut avoir lieu à plusieurs étapes de la procédure.

  • La demande au titre de l’article 9ter est déclarée irrecevable
    Tant qu’une décision n’a pas été prise sur la recevabilité d’une demande de régularisation médicale, aucun droit de séjour n’est octroyé au demandeur. L’intéressé·e a uniquement droit à l’Aide Médicale Urgente (AMU). Si la demande est déclarée irrecevable, la personne a toujours droit à l’AMU.
    En vertu de la jurisprudence Abdida, la personne peut introduire un recours devant le tribunal du travail contre la décision du CPAS de lui refuser une aide sociale plus large.
  • La demande au titre de l’article 9ter est déclarée non fondée
    Lorsqu’une demande au titre de l’article 9ter est déclarée recevable, le demandeur reçoit une attestation d’immatriculation (AI). Muni de ce document, la personne peut obtenir une aide sociale plus large du CPAS si la personne est nécessiteux.
    Toutefois, si la demande est déclarée non fondée à un stade ultérieur de la procédure visée à l’article 9ter, le demandeur perd son AI et, par conséquent, son droit à l’aide sociale plus large. Il/elle conserve uniquement son droit à l’Aide Médicale Urgente (AMU).
    En vertu de la jurisprudence Abdida, la personne peut introduire un recours devant le tribunal du travail contre la décision du CPAS de lui refuser une aide sociale plus large.
  • Le droit de séjour (carte A) sur la base de la procédure visée à l’article 9ter n’est pas prolongé
    La personne a reçu, dans le cadre d’une demande au titre de l’article 9ter déclarée fondée, un droit de séjour provisoire de 1 an (carte A), prolongeable sous certaines conditions (voir « Prolongation du droit de séjour » sur la page Autorisation de séjour pour raisons médicales (art. 9ter)).
    Cette carte A donne droit à une aide sociale plus large du CPAS si la personne est nécessiteuse. Lorsque l’OE décide de ne pas prolonger la carte A, son titulaire perd le droit à cette aide sociale plus large. Cette personne ne conserve que le droit à l’Aide Médicale Urgente.
    En vertu de la jurisprudence Abdida, la personne peut introduire un recours devant le tribunal du travail contre la décision du CPAS de lui refuser une aide sociale plus large.

Le délai pour introduire un recours contre une décision de refus du CPAS devant le tribunal du travail s’élève à trois mois après notification de la décision.

Dans la pratique, plusieurs tribunaux du travail ont déjà condamné des CPAS à octroyer une aide sociale plus large à une personne ayant introduit un recours devant le Conseil du contentieux des étrangers (CCE), à condition qu’elle fasse valoir un grief défendable. D’après la jurisprudence, un grief défendable doit être interprété comme un recours qui n’est pas manifestement infondé devant le CCE contre une décision de rejet d’une demande au titre de l’article 9ter (voir Cour de Cass. 25.03.2019).

(!) Un Orde de Quitter le Territoire (OQT) ne doit pas nécessairement avoir été délivré après la décision de rejet de la demande au titre de l’article 9ter pour solliciter l’application de la jurisprudence Abdida .
Dans un jugement récent, la cour du travail de Bruxelles a jugé que la jurisprudence Abdida s’applique également lorsqu’un OQT n’a pas été décerné au demandeur. D’après la cour, l’OQT est une confirmation purement administrative d’une situation déjà existante, à savoir le séjour illégal de la personne en question (voir Cour du trav. Bruxelles 25.04.2019).

Invocation simultanée de la procédure pour force majeure médicale

L’intéressé peut invoquer la jurisprudence Abdida mais aussi la force majeure médicale contre l’exécution d’un OQT.
Cela implique que la personne visée par un OQT se trouve dans l’impossibilité médicale de donner suite à cet ordre. Sur la base de cette force majeure médicale, une aide sociale plus large peut être demandée au CPAS devant le tribunal du travail. Pour de plus amples informations sur cette procédure spécifique, voir Aide sociale et retour impossible.

(!) Le droit à une aide sociale plus large est conservé tant que la personne se trouve en situation de force majeure médicale, tandis que l’aide sociale accordée dans le cadre de la jurisprudence Abdida cesse lorsque le recours est rejeté. D’où l’intérêt d’invoquer ces deux motifs devant la cour du travail (voir par exemple Cour du trav. Liège 11.03.2019).

16 mars 2020


Publication de Caritas International (2015)

"Les droits sociaux des étrangers gravement malades"

Deuxième volet du "Parole à l’exil" : "Quels droits encore mobiliser pour les étrangers
gravement malades en Belgique ?" 2015

Jurisprudence sur les étrangers gravement malades et leurs droits sociaux

La base de données juridiques de Terra Laboris offre un aperçu complet des arrêts et jugements pertinents concernant l’impossibilité de retour d’un ressortissant étranger gravement malade et le droit à l’aide sociale du CPAS qui en découle.